Janvier 2021, le Centre National de la Musique (CNM) publie le rapport d’étude sur les impacts du passage à l’UCPS par les services de musique en ligne. Une étude fortement attendue !
La question des rémunérations équitables pour les ayants droits
Nous savons tous que le mode de consommation de la musique a évolué, et que le public se tourne de plus en plus vers les plateformes d’écoutes en ligne (+23,5% d’écoutes entre 2018 et 2019).
Forcément, la diffusion de la musique en ligne fait poser des questions concernant la rémunération des artistes et producteurs, et particulièrement la répartition des redevances entre les différents artistes écoutés.
Deezer a soulevé plusieurs fois le problème de la rémunération actuelle : « Actuellement, l’industrie du streaming musical verse des royalties selon un modèle basé sur le nombre d’écoutes faites par tous les utilisateurs sur un artiste. Pour faire simple, toutes les écoutes sont additionnées et les ayants droit sont rémunérés à hauteur de la part d’écoutes que représente leur artiste par rapport aux écoutes sur tous les autres artistes du catalogue. Cela signifie que les artistes et les genres populaires – qui cumulent de forts volumes d’écoutes – bénéficient d’un avantage sur des artistes locaux ou des artistes moins connus. Les artistes niche et les genres locaux sont donc moins avantagés par ce système, et de nombreux fans ne soutiennent donc pas via leur abonnement les artistes et les genres qu’ils écoutent vraiment.«
Deezer et l’UCPS (ou système de paiement centré sur l’utilisateur)
La société française Deezer a souhaité faire évoluer le système en rémunérant plus justement les artistes réellement écoutés. C’est ce qu’ils appellent : le User Centric (ou système de paiement centré sur l’utilisateur).
Quels seraient les avantages de ce système de rémunération ?
- Un système plus équitable pour une grande variété d’artistes et de genres locaux et internationaux
- Lissage des inégalités liées par exemple à l’âge ou aux habitudes d’écoute (ex : les jeunes utilisateurs ont tendance à zapper plus de titres, ce qui pénalise davantage certains artistes)
- Une aide contre la fraude et les robots sur les sites de streaming (Deezer)
En effet, actuellement, un utilisateur Spotify, Deezer etc. qui paye un abonnement mensuel et écoute un certains nombres d’artistes pendant soutenir ses artistes favoris …. rémunère en fait d’autres artistes qu’il n’écoute pas forcément. Vous pensiez soutenir cet artiste indépendant en l’écoutant en boucle ? Et bien sachez qu’à ce jour les rémunérations iront aux artistes les plus écoutés, et non aux artistes locaux ou indépendants que vous souhaitez soutenir.
Comme l’explique Jean-Philippe Thiellay, Président du CNM, « si un utilisateur n’écoutait, un mois donné, qu’un seul titre, le montant de son abonnement irait aux ayants droit concernés par ce seul titre, alors que, dans le système market centric, cette écoute ne représenterait qu’une unité au sein du total des écoutes du marché concerné. »
Les différentes études pour évaluer l’efficacité de ce nouveau système de rémunération
Nous pourrions penser que ce nouveau système sera forcément meilleur (en tout cas pour les artistes indépendants et nichés). Pour vérifier sa réelle efficacité, il faut tout de même mener des études comparatives avec le système actuel MCPS (Market Centric Payment System). Jusqu’à ce jour, aucune étude Française ou Européenne n’a été concluante, les méthodologies n’étant pas communes à chacune de ses études, les conclusions n’étaient pas comparables.
Le Ministère de la Culture français a mandaté alors le CNM pour mener une étude « visant à objectiver les conséquences d’un passage au modèle UCPS en France » en comparant les deux systèmes : UCPS vs MCPS.
L’objectif de cet article est de faire un résumé et une conclusion du point de vue d’une artiste et utilisatrice de musique en ligne. Pour lire l’étude complète du CNM.
L’étude porte sur les utilisateurs en France.
Quelques petites choses à noter
Au démarrage de la lecture du rapport, il est indiqué que seuls Deezer, Spotify et la Sacem ont accepté de participer à la mise à disposition de données, et à l’élaboration de la méthodologie commune. Nous ne saurons donc pas ce qu’il en ressort des autres plateformes de streaming. Plus loin nous apprenons que la Sacem n’a pas participé à la méthodologie commune par contraintes calendaires. Et que Spotify a souhaité utiliser sa propre méthodologie, mais que le CNM a pu quand même utiliser les données sur un échantillon de 100 000 utilisateurs fourni par Spotify sur le premier semestre 2019.
Beaucoup d’estimations se font sur la base des résultats Deezer. Hors, cette plateforme est-elle vraiment représentative de l’écoute en streaming en France ? Sachant également que suivant la plateforme d’écoute (Spotify, Deezer), les esthétiques mises en avant peuvent différer.
Concernant les genres musicaux, cela est d’une réelle complexité pour classifier les titres, chaque plateforme catégorisant à sa façon, et certains titres pouvant être catégorisés dans plusieurs genres. Le CNM a dû faire un choix méthodologique dans leur comptabilisation. C’est donc aussi à prendre avec du recul.
Conclusions de l’étude par le CNM
De cette étude, le CNM ressort plusieurs conclusions (citations du rapport) :
- une cohérence dans la répartition des revenus.
- limitation de « l’effet de fléchage des revenus vers les écoutes réalisées par les utilisateurs intensifs ». (Note : pour les petits malins qui lisent en boucle les titres pour faire monter les redevances, par exemple)
- UCPS permettrait de réduire l’impact d’une des fraudes existantes qui consiste à réaliser un maximum d’écoutes pour des titres et artistes ciblés, par exemple par des « fermes à clics ».
- UCPS favorise une redistribution significative entre esthétiques aux audiences importantes, au détriment du rap et du hip hop, et en faveur du rock et de la pop
- renforcement de la part de marché du back catalogue (titres sortis il y a plus d’un an et demi)
- UCPS favorise une redistribution des revenus au bénéfice des artistes, titres et esthétiques aux audiences les plus faibles.
Dans l’ensemble, c’est plutôt positif.
Le CNM ajoute que (citations du rapport) :
- dans une économie de l’accès et non de la possession, la question de savoir si un modèle serait plus efficace ou plus juste qu’un autre demeure une question de principe ou de stratégie commerciale, que ces éléments chiffrés ne peuvent ni valider, ni invalider
- si les pourcentages d’évolution semblent non négligeables, les montants en valeur restent en réalité limités, en l’état du marché : ainsi, au-delà du 10 000e artiste le plus écouté, toutes esthétiques confondues, l’impact du passage au UCPS serait au maximum de quelques euros par an en moyenne sur l’année par artiste ;
J’avoue être dubitative … la question de principe me semble être importante et devrait passer au délà des considérations de business. Ces éléments chiffrés valident quand même plusieurs points importants. Même si la rémunération au delà du 10000e artiste écouté reste trop peu, il récupère quand même son droit. Avant l’UCPS, il avait 0. Et c’est aussi une question de respect de l’utilisateur qui, je pense, préfère que son abonnement permette de rémunérer les artistes réellement écoutés.
« le UCPS représente un modèle différent, avec des conséquences mesurables et positives pour les esthétiques et les artistes les moins écoutés aujourd’hui sur les plateformes de streaming »Jean-Philippe Thiellay, Président du CNM
Dans cette dernière conclusion, le soucis est à porter autre part, sur la question de la hauteur de la rémunération. C’est pour moi, un autre sujet. Le système UCPS permet une meilleure cohérence de la répartition des redevances. C’est déjà une évolution. Ainsi qu’une plus juste représentation des esthétiques écoutées. Travaillons ensuite sur la question de la rémunération dans un second temps.
« On en a désormais le cœur net : le combat des auteurs, compositeurs et interprètes, qui demandent une meilleure rémunération de leur travail n’est, aujourd’hui, pas là. »Jean-Philippe Thiellay, Président du CNM
Regardons un peu les résultats en détail
Le modèle UCPS favoriserait la revalorisation des genres de niche : classique (+24%), hard rock (+22%), blues (+18%) par exemple, mais l’impact financier (envaleur) serait relatif à leur part de marché malgré une croissance à deux chiffres.
Au sein des esthétiques les plus populaires, le modèle UCPS conduirait à une évolution défavorable au rap (-21%) et au hiphop (-19%), mais favorable au rock (+13%) et à la pop (+12%). Compte tenu de leurs parts de marché la redistribution en valeur y serait la plus significative.
Conclusion
Et pour les producteurs ? « Impossibilité d’étudier l’impact du passage à l’UCPS pour les producteurs », les données sur les plateformes de streaming indiquant seulement le distributeur. Mais si cela impact les ayants droits du côté du droit d’auteur, cela impactera forcément les producteurs.
Le coût de la mise en oeuvre du système UPCS et l’impact sur les rémunérations des ayants droits reste encore à clarifier. En tout cas, cette étude est une grande première et essaye de se rapprocher de la réalité en faisant face à la complexité de la musique en ligne.
Et oui, tout ce système est bien complexe. Et pas si facile que cela à réguler, surveiller, contrôler, opacifier. Surtout entre les différents territoires, avec des législations différentes … Un système de consommation musicale qui est encore mouvant, évoluant … Mais cette étude est déjà un premier pas important, prenant en considération toutes les esthétiques musicales, et portant enfin de la considération aux artistes indépendants et nichés.
« Nous n’en sommes qu’au début de l’histoire », Jean-Philippe Thiellay, Président du CNM
Je vous propose de lire le rapport complet, très instructif, et avec toutes les conclusions et actions à mener pour le futur par le CNM sur ce sujet.